(Avec
l'aimable autorisation du magazine XROADS et Tony Grieco)

DU
BLUES DE
PREMIÈRE CLASSE !
Cet énorme artiste qui, avec son groupe les Fabulous Thunderbirds,
fut à l’origine du renouveau du blues à la fin
des années 70, est un homme pourtant discret et qui fait peu
parler de lui. Il laisse parfois passer quelques années avant
de s’épancher sur un album ; pourtant, le temps ne semble
avoir aucune emprise sur sa musique, car quelque soit le
« groove » choisi, l’homme, armé de sa guitare
si personnelle et si spéciale, fait mouche à tous les
coups. Dans son dernier opus, sorti sept ans après Do you get
the blues ?,
Jimmie nous a confectionné un petit bouquet de blues, balades
et autres favorites (Jimmie plays blues, ballads and favorites, c’est
le titre !) qui, sous son emballage jaune vif et les
traits de lumière lâchés par le guitariste, redonne
un peu de couleur à la vie…
Ce chantre du
« less is more » (« mieux vaut peu que beaucoup
«, pourrait-on traduire) pousse maintenant le bouchon encore
plus loin car dans son dernier album truffé de blues épique
tendance jump, il fait preuve d’une économie de jeu encore
plus forte que dans ses précédents ouvrages. Son style
mis au point depuis maintenant plusieurs décennies arrive à
la totale maîtrise du son et de la note. Là où
certains mettront quinze triples croches d’affilée pour
créer le climat, Jimmie va aligner trois noires et une ronde
avec cette respiration unique qui le caractérise. Au cours
de l’interview qui suit, J’ai vaguement tenté de
percer le mystère et de lui extraire la réponse, au
moins technique, de cette approche… Peine perdue, car l’artiste
m’a juste répondu évasivement : « je joue
ce que j’aime entendre » … Cette explication, qui
confine presque à une philosophie de vie, m’a fait réaliser
que beaucoup de gens jouent des choses… que l’on n’a
pas (forcément) envie d’entendre ! Le blues est un genre
sans cesse (auto)régénéré et qui, bon
an mal an, traverse toutes les périodes, même les plus
tourmentées. Mais cette base musicale engendre hélas
beaucoup de redondances. Pour se faire repérer, la surenchère
n’est jamais très loin. Or il ne suffit pas de pousser
le volume ou de multiplier les gymnastiques sur le manche pour entrer
au Panthéon. Il faut plutôt faire preuve d’originalité,
à l’intérieur d’un format hyper cadré
et, surtout, de personnalité, deux paramètres qui seuls
peuvent vous sortir du lot. Jimmie Vaughan a trouvé sa voie
en tablant sur l’émotion que peuvent provoquer quelques
notes judicieusement placées sur la mesure, exercice pas aussi
simple qu’il n’y paraît, car la tendance naturelle
du « guitar hero » est justement d’en rajouter sans
cesse et de charger la mule jusqu’à l’excès.
Jimmie a su aller puiser l’inspiration chez ses maîtres
référents (les bluesmen noirs comme Guitar Slim, Lightnin’
Hopkins ou Clarence Gatemouth Brown). Mais ne vous y trompez pas,
l’adolescent Jimmie fut nourri de Clapton, d’Hendrix et
de Johnny Winter et ses connaissances techniques peuvent s’avérer
tout aussi redoutables que celles de ses modèles, comme on
peut le remarquer sur l’album Family style, sorti avec son (regretté)
frère Stevie Ray, sur lequel on ne sait pas toujours qui fait
quoi. Au fameux « less is more «, cité plus haut,
on peut aussi ajouter le non moins fameux « qui peut le plus
peut le moins »…
Jimmie,
dans ton dernier album, tu as décidé d’être
plus blues « pur » que jamais, en renouant avec ce blues
un peu jazzy cher à T. Bone Walker, c’est un autre retour
aux sources pour toi, non ? Je
ne crois pas avoir jamais quitté mes sources, et le blues est
pour moi un territoire qui recèle des ressources inépuisables.
Ces chansons sont bien sûr mes racines, mais comme l’indique
le premier titre « The pleasure is all mine », j’ai
avant tout voulu me faire plaisir.
On
dirait que tu mènes ta carrière entièrement sous
cette règle de base : te faire plaisir… Tu sors des
albums quand bon te semble…
Exactement, j’ai la chance de pouvoir faire un album vraiment
lorsque je le désire, je ne supporte aucune pression ou demande
de quelque sorte que ce soit. C’était déjà
le cas avec les Fabulous Thunderbirds, il était hors de question
que quelqu’un nous dise quoi que ce soit sur ce que nous voulions
faire et comment nous voulions sonner…
Puisque tu abordes le sujet, j’en profite
pour m’y glisser, quelle est la vraie raison de ton départ
du groupe ?
La vraie raison ? Ma survie (rires)… On passait notre vie sur
la route, je ne voyais plus ma famille ou mes amis et, surtout, je
commençais à être sévèrement accro
à l’alcool, histoire de tenir le choc. À un certain
moment, je me suis dit : « il vaut mieux que je descende de
ce train fou avant qu’il ne soit trop tard ».
Pas vraiment de divergences musicales alors,
d’ailleurs, je trouve que ton dernier album défend la
même cause et s’approche du travail fait par ton ex-partenaire
Kim Wilson, vous vous revoyez parfois ?
Tu as raison, les divergences n’existent pas en tant que tel,
juste dans la façon de voir les choses. Nos goûts restent
communs et, oui, il nous arrive de nous croiser et même de jouer
ensemble parfois…
On peut t’entendre jouer de l’harmonica
sur le second titre de l’album (« Come love »),
est-ce aussi un genre de clin d’œil que tu lui fais ?
Non non, ce serait prétentieux, je joue un peu pour le fun.
En fait, je devais avoir James Cotton pour la séance et il
n’était pas libre, alors je m’y suis collé,
mais je ne suis pas Little Walter, loin de là…
Ton jeu de guitare va au plus prés du
son « clair ». Sur tout l’album, il est sec et pratiquement
sans aucun effet, comment ce choix est-il venu ?
Pour être à contre courant (rires)… Non, sérieux,
j’ai supprimé les pédales pour avoir ce son, oui,
j’en fait maintenant ma marque personnelle, « celui qui
joue sans effet »… Il y a un brin de réverbération,
mais à peine audible, en fait.
Parlons aussi de ton chant, qui est assez personnel
et typé… Tu ne chantais jamais chez les Fabulous Thunderbirds,n’est-ce
pas ?
Dans le groupe, cela ne se posait pas, et je m’affairais aux
guitares. En fait, j’ai découvert ma
voix à l’âge de quarante ans. Enfant et adolescent,
j’avais une voix assez haut perchée, et lors que j’entendais
les bluesmen noirs que j’adorais avec leurs voix puissantes
et bien graves, j’essayais, mais… Je sentais comme un
problème, cela sonnait tout petit, alors je me disais : Laisse
tomber ! Mais maintenant, j’y ai pris goût.
Es-tu au courant que Steve Miller vient de sortir
un album avec trois de tes compositions, l’as-tu entendu ?
J’en ai entendu parler, mais je n’ai pas encore écouté.
J’en suis très fier, car c’est un artiste que j’aime
beaucoup, on a des points communs en tant que « texans »
et c’est un grand amateur de blues aussi.
Écoutes-tu d’autres musiques que
le blues ?
Plein, plein. J’ai une vraie passion pour la guitare flamenco,
je trouve que les gens qui en jouent sont des génies, je me
découvre une vraie curiosité pour le jazz, j’en
écoute de plus en plus, surtout du live. Mais, à vrai
dire, pour moi il y a deux grands tiroirs, un premier où se
trouve la bonne musique (celle que j’aime entendre) et un second
où je place la mauvaise (celle que je n’aime pas entendre).
C’est très pratique, car selon les périodes, je
passe certains artistes de l’un vers l’autre. Quoi qu’il
en soit, le blues reste ce que j’adore, et j’en écoute
toujours plus, celui des années 20, 30, 40. C’est un
puits sans fond.
Te
sens-tu influencé par d’autres guitaristes ?
Énormément, la liste serait trop longue, mais d’un
autre côté, je joue ce que j’aime entendre, et
c’est mon propre filtre pour arriver à mon style. En
fait, j’apprends encore énormément, je prends
même des cours de solfège pour m’améliorer,
je pratique beaucoup l’instrument [ndlr : Jimmie me montre sa
Fender Stratocaster négligemment posée sur le canapé].
Tu vois, dans ma chambre d’hôtel ou n’importe où
ailleurs, il y a toujours une guitare que je puisse attraper.
La
ville d’Austin, où tu vis, est-elle toujours ce paradis
pour les clubs de blues, avec tous ces génies courant les salles
de soir en soir, et y a-t-il toujours le fameux club Antone’s
?
Antone’s est toujours là, et je m’y produis régulièrement,
ce club qui n’est qu’une petite salle sans prétention
a vu défiler tout ce que le pays compte de gens importants
pour le blues. Concernant Austin, les choses ont changé assez
profondément, car la ville ne cesse de s’agrandir et
d’éloigner ses limites, ce qui était le centre
jadis de vient un faubourg de plus. Mais le blues y tient toujours
une énorme place.
Tu mets pas mal de temps à sortir un
album, on reste parfois longtemps sans nouvelle de toi… Est-ce
une forme de fainéantise ?
Pas vraiment, car en fait, je fais pas mal de concerts, mais je n’aime
plus guère tourner, suite au traumatisme avec les T. Birds.
J’aime jouer pour le plaisir de jouer, et non par obligation.
Idem pour un album, il faut que j’en ressente le besoin. Je
ne supporterais aucune pression, d’un label ou autre, qui m’obligerait
à sortir quelque chose. Je marche à l’envie, et
j’espère continuer comme ça. Et qui dit album
dit presque automatiquement tournée… C’est une
bonne raison pour bien réfléchir avant d’en mettre
un sur le marché !
Tu as vécu plein de trucs super et de
grandes expériences, que te manque-t-il pour ton bonheur complet
?
Je ne cherche rien d’extraordinaire, juste pouvoir continuer
à faire ce que je fais de la façon dont je le fais,
ce serait super. J’ai eu la chance de croiser et de devenir
ami avec la plupart de mes héros, et ça c’est
un énorme privilège. C’est sûrement la meilleure
récompense qu’il m’ait été donnée,
bien plus que les awards en tout genre… Je joue avec des gens
comme Eric Clapton, Robert Cray, B. B. King, c’est le bonheur
total !
Tu auras les cuivres présents sur l’album
et Lou Ann Barton avec toi au concert ?
Oui, je vais mettre tout ce beau monde à mes côtés,
et cela devrait sonner comme l’album. Je te conseille de te
procurer la version vinyle qui est aussi disponible, avec sa belle
pochette et composée de deux disques… J’ai récemment
perdu mon organiste, Bill Willis, et je l’aimais tellement que
j’ai décidé de ne pas le remplacer, on va faire
sans, et il y a toujours Billy Pitman qui s’occupe des guitares
rythmiques.
Le groupe en question,
d’une rare homogénéité, a donné
le soir même un superbe concert au New Morning de Paris. Puis
l’artiste est parti porter son blues unique sur d’autres
scènes européennes, avant d’entamer… Une
grande tournée américaine !
Tony Grieco
Mise ne page et
Illustration : FL
Merci à
Xroads et Christoffe Geoffete
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