Jimmie Vaughan -2010


(Avec l'aimable autorisation du magazine XROADS et Tony Grieco)

 

DU BLUES DE
PREMIÈRE CLASSE !


Cet énorme artiste qui, avec son groupe les Fabulous Thunderbirds, fut à l’origine du renouveau du blues à la fin des années 70, est un homme pourtant discret et qui fait peu
parler de lui. Il laisse parfois passer quelques années avant de s’épancher sur un album ; pourtant, le temps ne semble avoir aucune emprise sur sa musique, car quelque soit le
« groove » choisi, l’homme, armé de sa guitare si personnelle et si spéciale, fait mouche à tous les coups. Dans son dernier opus, sorti sept ans après Do you get the blues ?,
Jimmie nous a confectionné un petit bouquet de blues, balades et autres favorites (Jimmie plays blues, ballads and favorites, c’est le titre !) qui, sous son emballage jaune vif et les
traits de lumière lâchés par le guitariste, redonne un peu de couleur à la vie…

Ce chantre du « less is more » (« mieux vaut peu que beaucoup «, pourrait-on traduire) pousse maintenant le bouchon encore plus loin car dans son dernier album truffé de blues épique tendance jump, il fait preuve d’une économie de jeu encore plus forte que dans ses précédents ouvrages. Son style mis au point depuis maintenant plusieurs décennies arrive à la totale maîtrise du son et de la note. Là où certains mettront quinze triples croches d’affilée pour créer le climat, Jimmie va aligner trois noires et une ronde avec cette respiration unique qui le caractérise. Au cours de l’interview qui suit, J’ai vaguement tenté de percer le mystère et de lui extraire la réponse, au moins technique, de cette approche… Peine perdue, car l’artiste m’a juste répondu évasivement : « je joue ce que j’aime entendre » … Cette explication, qui confine presque à une philosophie de vie, m’a fait réaliser que beaucoup de gens jouent des choses… que l’on n’a pas (forcément) envie d’entendre ! Le blues est un genre sans cesse (auto)régénéré et qui, bon an mal an, traverse toutes les périodes, même les plus tourmentées. Mais cette base musicale engendre hélas beaucoup de redondances. Pour se faire repérer, la surenchère n’est jamais très loin. Or il ne suffit pas de pousser le volume ou de multiplier les gymnastiques sur le manche pour entrer au Panthéon. Il faut plutôt faire preuve d’originalité, à l’intérieur d’un format hyper cadré et, surtout, de personnalité, deux paramètres qui seuls peuvent vous sortir du lot. Jimmie Vaughan a trouvé sa voie en tablant sur l’émotion que peuvent provoquer quelques notes judicieusement placées sur la mesure, exercice pas aussi simple qu’il n’y paraît, car la tendance naturelle du « guitar hero » est justement d’en rajouter sans cesse et de charger la mule jusqu’à l’excès. Jimmie a su aller puiser l’inspiration chez ses maîtres référents (les bluesmen noirs comme Guitar Slim, Lightnin’ Hopkins ou Clarence Gatemouth Brown). Mais ne vous y trompez pas, l’adolescent Jimmie fut nourri de Clapton, d’Hendrix et de Johnny Winter et ses connaissances techniques peuvent s’avérer tout aussi redoutables que celles de ses modèles, comme on peut le remarquer sur l’album Family style, sorti avec son (regretté) frère Stevie Ray, sur lequel on ne sait pas toujours qui fait quoi. Au fameux « less is more «, cité plus haut, on peut aussi ajouter le non moins fameux « qui peut le plus peut le moins »…

Jimmie, dans ton dernier album, tu as décidé d’être plus blues « pur » que jamais, en renouant avec ce blues un peu jazzy cher à T. Bone Walker, c’est un autre retour aux sources pour toi, non ? Je ne crois pas avoir jamais quitté mes sources, et le blues est pour moi un territoire qui recèle des ressources inépuisables. Ces chansons sont bien sûr mes racines, mais comme l’indique le premier titre « The pleasure is all mine », j’ai avant tout voulu me faire plaisir.

On dirait que tu mènes ta carrière entièrement sous cette règle de base : te faire plaisir… Tu sors des albums quand bon te semble…
Exactement, j’ai la chance de pouvoir faire un album vraiment lorsque je le désire, je ne supporte aucune pression ou demande de quelque sorte que ce soit. C’était déjà le cas avec les Fabulous Thunderbirds, il était hors de question que quelqu’un nous dise quoi que ce soit sur ce que nous voulions faire et comment nous voulions sonner…

Puisque tu abordes le sujet, j’en profite pour m’y glisser, quelle est la vraie raison de ton départ du groupe ?
La vraie raison ? Ma survie (rires)… On passait notre vie sur la route, je ne voyais plus ma famille ou mes amis et, surtout, je commençais à être sévèrement accro à l’alcool, histoire de tenir le choc. À un certain moment, je me suis dit : « il vaut mieux que je descende de ce train fou avant qu’il ne soit trop tard ».

Pas vraiment de divergences musicales alors, d’ailleurs, je trouve que ton dernier album défend la même cause et s’approche du travail fait par ton ex-partenaire Kim Wilson, vous vous revoyez parfois ?
Tu as raison, les divergences n’existent pas en tant que tel, juste dans la façon de voir les choses. Nos goûts restent communs et, oui, il nous arrive de nous croiser et même de jouer ensemble parfois…

On peut t’entendre jouer de l’harmonica sur le second titre de l’album (« Come love »), est-ce aussi un genre de clin d’œil que tu lui fais ?
Non non, ce serait prétentieux, je joue un peu pour le fun. En fait, je devais avoir James Cotton pour la séance et il n’était pas libre, alors je m’y suis collé, mais je ne suis pas Little Walter, loin de là…

Ton jeu de guitare va au plus prés du son « clair ». Sur tout l’album, il est sec et pratiquement sans aucun effet, comment ce choix est-il venu ?
Pour être à contre courant (rires)… Non, sérieux, j’ai supprimé les pédales pour avoir ce son, oui, j’en fait maintenant ma marque personnelle, « celui qui joue sans effet »… Il y a un brin de réverbération, mais à peine audible, en fait.

Parlons aussi de ton chant, qui est assez personnel et typé… Tu ne chantais jamais chez les Fabulous Thunderbirds,n’est-ce pas ?
Dans le groupe, cela ne se posait pas, et je m’affairais aux guitares. En fait, j’ai découvert ma
voix à l’âge de quarante ans. Enfant et adolescent, j’avais une voix assez haut perchée, et lors que j’entendais les bluesmen noirs que j’adorais avec leurs voix puissantes et bien graves, j’essayais, mais… Je sentais comme un problème, cela sonnait tout petit, alors je me disais : Laisse tomber ! Mais maintenant, j’y ai pris goût.

Es-tu au courant que Steve Miller vient de sortir un album avec trois de tes compositions, l’as-tu entendu ?
J’en ai entendu parler, mais je n’ai pas encore écouté. J’en suis très fier, car c’est un artiste que j’aime beaucoup, on a des points communs en tant que « texans » et c’est un grand amateur de blues aussi.

Écoutes-tu d’autres musiques que le blues ?
Plein, plein. J’ai une vraie passion pour la guitare flamenco, je trouve que les gens qui en jouent sont des génies, je me découvre une vraie curiosité pour le jazz, j’en écoute de plus en plus, surtout du live. Mais, à vrai dire, pour moi il y a deux grands tiroirs, un premier où se trouve la bonne musique (celle que j’aime entendre) et un second où je place la mauvaise (celle que je n’aime pas entendre). C’est très pratique, car selon les périodes, je passe certains artistes de l’un vers l’autre. Quoi qu’il en soit, le blues reste ce que j’adore, et j’en écoute toujours plus, celui des années 20, 30, 40. C’est un puits sans fond.

Te sens-tu influencé par d’autres guitaristes ?
Énormément, la liste serait trop longue, mais d’un autre côté, je joue ce que j’aime entendre, et c’est mon propre filtre pour arriver à mon style. En fait, j’apprends encore énormément, je prends même des cours de solfège pour m’améliorer, je pratique beaucoup l’instrument [ndlr : Jimmie me montre sa Fender Stratocaster négligemment posée sur le canapé]. Tu vois, dans ma chambre d’hôtel ou n’importe où ailleurs, il y a toujours une guitare que je puisse attraper.

La ville d’Austin, où tu vis, est-elle toujours ce paradis pour les clubs de blues, avec tous ces génies courant les salles de soir en soir, et y a-t-il toujours le fameux club Antone’s ?

Antone’s est toujours là, et je m’y produis régulièrement, ce club qui n’est qu’une petite salle sans prétention a vu défiler tout ce que le pays compte de gens importants pour le blues. Concernant Austin, les choses ont changé assez profondément, car la ville ne cesse de s’agrandir et d’éloigner ses limites, ce qui était le centre jadis de vient un faubourg de plus. Mais le blues y tient toujours une énorme place.

Tu mets pas mal de temps à sortir un album, on reste parfois longtemps sans nouvelle de toi… Est-ce une forme de fainéantise ? 
Pas vraiment, car en fait, je fais pas mal de concerts, mais je n’aime plus guère tourner, suite au traumatisme avec les T. Birds. J’aime jouer pour le plaisir de jouer, et non par obligation. Idem pour un album, il faut que j’en ressente le besoin. Je ne supporterais aucune pression, d’un label ou autre, qui m’obligerait à sortir quelque chose. Je marche à l’envie, et j’espère continuer comme ça. Et qui dit album dit presque automatiquement tournée… C’est une bonne raison pour bien réfléchir avant d’en mettre un sur le marché !

Tu as vécu plein de trucs super et de grandes expériences, que te manque-t-il pour ton bonheur complet ? 
Je ne cherche rien d’extraordinaire, juste pouvoir continuer à faire ce que je fais de la façon dont je le fais, ce serait super. J’ai eu la chance de croiser et de devenir ami avec la plupart de mes héros, et ça c’est un énorme privilège. C’est sûrement la meilleure récompense qu’il m’ait été donnée, bien plus que les awards en tout genre… Je joue avec des gens comme Eric Clapton, Robert Cray, B. B. King, c’est le bonheur total ! 

Tu auras les cuivres présents sur l’album et Lou Ann Barton avec toi au concert ?  
Oui, je vais mettre tout ce beau monde à mes côtés, et cela devrait sonner comme l’album. Je te conseille de te procurer la version vinyle qui est aussi disponible, avec sa belle pochette et composée de deux disques… J’ai récemment perdu mon organiste, Bill Willis, et je l’aimais tellement que j’ai décidé de ne pas le remplacer, on va faire sans, et il y a toujours Billy Pitman qui s’occupe des guitares rythmiques.
 

Le groupe en question, d’une rare homogénéité, a donné le soir même un superbe concert au New Morning de Paris. Puis l’artiste est parti porter son blues unique sur d’autres scènes européennes, avant d’entamer… Une grande tournée américaine !


Tony Grieco

Mise ne page et Illustration : FL

Merci à Xroads et Christoffe Geoffete

   


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