Bill Hurley-2005


BILL HURLEY
Thought I heard a heartbeat. Haw !

(Avec l'aimable autorisation du magazine Blues Again)

« Quand Lee Brilleaux est mort, on m’a demandé de chanter à ses funérailles »

« Franchement, la France est un de nos meilleurs endroits »

 


Le contraste est étonnant entre la puissance de sa voix sur scène et sa douceur lors de l’interview. Bill Hurley dégage immédiatement un gros de bonus de sympathie. Il est tellement rétif à la frime… Contrairement à nombre de ses collègues il aurait pu faire tout autre chose, avoir un vrai job, des potes, un pub où écouter les autres jouer. On ne l'aurait jamais su et on serait passé à côté d'un des meilleurs chanteurs de rock de ces trente dernières années.


Blues Again : Le concert de ce soir à Cognac, s’inscrit-il dans le cadre d’une tournée ?

Bill Hurley : Non, c'est un concert unique. Je connaissais ce festival, on devait déjà s’y produire l'an passé mais ça n’a pas été possible. Il y a six semaines, nous étions programmés dans un autre festival en plein air, à Marseille, avec Albert Lee et Ana Popovic.

Tu as vu des concerts, ici ?
Oui, j'ai vu Georges Clinton hier. Intéressant. Je l’avais déjà vu dans les années 70, il était passé en Angleterre avec Funkadelic. En fait je préfère déambuler dans la ville, écouter les groupes qui jouent dans les bars et dans le parc. Il y a des groupes vraiment bons…

Tu as vu Dr Feelgood hier ?
Ils ont été fabuleux. Dr Feelgood et nous, on se connaît depuis 1978. Quand Lee Brilleaux est mort, on m’a demandé de chanter à ses funérailles. J'étais également sur scène avec lui lors de son tout dernier concert, à Canvey Island, deux semaines avant sa mort. Un album live a été enregistré pour l’occasion (Down At The Doctors). J’en garde un souvenir très triste, c’était un vrai projet de fans avec les membres du Feelgood original.

On t'a surnommé le Wilson Pickett blanc, on a comparé ta voix à celle de Van Morrison…
Je sais, c'est très agréable. Wilson Pickett et Elvis Presley sont mes deux grandes références depuis que je suis gosse. Pour les autres ? Steve Marriott des Small Faces, Bobby Bland, Eddy Cochran, Little Richard, Eric Burdon…

Que faisais-tu avant les Inmates ?
J'appartenais à Ronnie and the Biggs, un groupe semi-professionnel. On a sévi de 1971 à 1976, puis j'ai fait quelques petites apparitions dans des groupes de dixieland, comme ça, juste pour le fun. Normal, mon éducation musicale passe par le jazz et par le blues, Dinah Washington, Bessie Smith, Billy Holiday… Un jour de 1977, un certain Peter Gunn (futur guitariste des Inmates) et un certain Ben Donnaly (futur bassiste) passent une annonce dans le Melody Maker. Ils cherchent un chanteur et un batteur. J'auditionne. Ça le fait. Puis on tombe sur Eddy Edwards pour la batterie et Tony Oliver pour la seconde guitare. Lui, jouait dans un groupe appelé les Cannibals. L’année suivante, on commence à assurer des petits gigs sur Londres et on décroche un engagement régulier dans le circuit du pub-rock. En 1979, voilà le management d'Elvis Costello qui nous propose un contrat. Tu parles si on a dit oui !

Comment viens-tu au chant ?
Vers cinq, six ans. Quand j'étais gosse, pendant les vacances, je m’inscrivais à ces concours qu’on nomme talent shows chez nous. Je chantais également dans la chorale de l'école. Quand j'en ai eu quatorze, j’ai commencé à me vieillir pour pouvoir entrer dans les pubs du West End. Un des premiers groupes pour lequel j'ai chanté faisait dans le dixieland. Je chantais du Louis Armstrong, des trucs comme When The Saints Go Marching In. J’étais grand, je parvenais à les bluffer, ils pensaient que j'en avais seize. Tout ça ne date pas d’hier comme tu vois. C'est difficile le chant. Jusqu'à quinze ans, je chopais un trac fou chaque fois qu’il fallait chanter devant quelqu’un !

Les critiques ne sont pas tendres avec le troisième album des Inmates, Heat Wave In Alaska (1982). Il n'a d'ailleurs jamais été réédité en CD...
On était vraiment déçus par ce disque de toute façon. On n’a pas pu s’entendre avec Stuart Coleman, le producteur. Le projet n’était pas très pertinent, tout allait trop vite. Comme nous n'aimions pas le mixage, qu’on trouvait l’album trop faible, nous avons exigé que l’album ne sorte pas. Ils l’ont finalement sorti (chez WEA), mais pas en Angleterre. D’ailleurs, il n'est peut-être sorti qu'en France, ce disque ! Après ça, la maison de disques a rompu tout lien avec nous, cassez-vous, on veut plus vous voir ici ! Certaines chansons d’Heatwave figurent sur un best-of sorti en Angleterre il y a deux ans, Dirty Water, qui couvre nos trois premiers albums. Cette compile propose six titres de Heat Wave… mais à part ça, ça m’étonnerait fort que l'album soit réédité un jour.

Bah ! n’importe comment, tu ne l'aimes pas…
Disons que... Non, je l’aime pas ! (Rires.)

Ton come-back au sein des Inmates s’est effectué à l’occasion d’un concert à Paris, en 1987. Les Inmates avaient été invités par Libération pour rendre hommage à Sergent Peppers. Comment est-ce arrivé ? Pourquoi Libé a-t-il fait appel aux Inmates ?
C'est étrange, en effet. Je suppose qu’ils voulaient voir ce qu’un groupe de rock basique pouvait faire du répertoire des Beatles. Jiri Smetana trempait dans ce projet. C'est un grand fan des Beatles, il avait très envie qu'on s'y colle.

Jiri Smetana ?
C’est un vieil ami des Inmates, on le connaît depuis 1977. Il dirigeait le Gibus où on était programmés. Jiri a notamment produit mon premier solo (Double Agent). Pour en revenir à ce concert et à l’album live qui en est issu (Meet The Beatles), le prétexte était effectivement de célébrer les vingt ans de Sergent Peppers, un truc très bizarre à faire. Pour être honnête, on était morts de trouille. On nous a tout organisé, ensuite on nous a dit : Voilà Messieurs, il vous reste deux semaines pour répéter ! Je connaissais quelques titres, bien sûr, mais on a dû travailler tous les autres dans l'urgence. Franchement, je crois que ce concert à La Villette fut notre meilleur concert. Un public de 6 000 personnes, une super bonne ambiance…

Il n'y a pas eu beaucoup de changements dans le line-up des Inmates…
Nous sommes amis depuis très longtemps, nous habitons tous dans le même coin du nord de l'Angleterre. Là, nous avons un nouveau bassiste, Ben a quitté le groupe l'année dernière. Il travaille maintenant en hôpital mais il joue encore de temps en temps avec moi. Je chante aussi pour les Inforcers. On assure quelques gigs dans des clubs, et Ben en fait partie. Ça l’arrange, il n’est pas obligé de se taper de longs déplacements. Avant ça finalement, le seul changement significatif fut un changement de batteur (Eddy Edwards remplacé par Eddie tout court, ex-Vibrators).

Donc l'explication, c'est l'amitié…
Oui.

 

Silvério (1997) est l’un des meilleurs albums de rock de ces vingt-cinq dernières années, et je pèse mes mots ! Tu le définirais comme un album de blues ?
Ironiquement, Silvério est le dernier album que nous ayons enregistré au Greenhouse, notre studio londonien. Un son excellent. Des groupes comme Jesus and the Mary Chain sont passés par là. Le Greenhouse a fermé par la suite… Euh, quant à Silvério, il y a du blues là-dedans, c'est sûr et certain.

La chanson Turpentine est une reprise du Cool Drink Of Water Blues de Tommy Johnson, non ?
Tout à fait. Et si tu me demandes les raisons de ce choix, eh bien… je ne saurais vraiment pas quoi te répondre ! En général on commence par enregistrer des démos, 35 à 40 chansons pour chaque album. Ensuite, on vote. Cette fois-là, Turpentine a recueilli plus de suffrages que les autres. Jusque là, ce qu’on avait fait de plus blues, c’était une chanson intitulée Jack Black Crow.

Comment ça se passe en Angleterre pour vous ?
Oh que c'est difficile ! Que c’est difficile ! Les endroits qui passent du blues ou du rhythm’n’blues ferment sans discontinuer. Beaucoup de pubs qui avaient pris l'habitude de programmer des groupes se ravisent et se contentent maintenant de passer des duos ou des artistes en solo. Parfois avec une bande qui défile derrière… voire carrément des karaokés !

Tu vas devoir t’y mettre, alors ?
Ha ! ha ! J'ai essayé une fois, figure-toi. Qu’est-ce c'est chiant, le karaoké !

Les Inmates sont étiquetés pub-rock…
On nous associe à ce style, mais je ne crois pas que les Inmates soient un groupe de pub-rock. Le pub-rock a commencé deux ou trois ans avant qu'on n’entre en scène. Les groupes du circuit pub-rock tournaient encore en 1978, quand nous avons démarré. À l’époque, il y avait une grosse explosion de blues et de rhythm'n’blues, Nine Below Zero, Lew Lewis, Ian Dury. Je pense qu’il est plutôt là, le vrai pub rock.

Les groupes de pub-rock ne reprennent jamais une chanson des Stones…
Je ne sais pas pourquoi. Avec les Enforcers on reprend Brown Sugar, parfois Jumpin' Jack Flash. Bah, c'est marrant comme exercice. Sinon, les groupes de pub-rock, je sais pas. Peut-être étaient-ils trop puristes. Remarque, ils ne reprenaient pas plus les chansons des Beatles… ou très peu. La plupart de ces groupes traçaient droit vers Chuck Berry, Little Richard ou Eddie Cochran. C’est ainsi.

Le public des Inmates vieillit ou se renouvelle-t-il, avec de nouveaux fans plus jeunes ?
Des nouveaux fans, il y en a. Une bonne partie de notre public nous est restée très fidèle et nous suit depuis 25 ans, mais je sais que des nouveaux fans arrivent. Et c'est particulièrement vrai en France. L'an dernier, à Boulogne et à Dunkerque, le public était très jeune... Peut-être étaient-ils venus avec leur parents ?!? En tout cas, ils avaient l'air d'apprécier ce que nous jouions, ils bougeaient beaucoup !

Il semble qu'il y ait une vieille histoire d'amour entre les Inmates et la France…
Franchement, la France est un de nos meilleurs endroits. La première fois qu’on est passé chez toi, c’était en 1978 au Gibus, en semi-professionnels. Le concert était retransmis en direct sur une radio, et les gens ont aimé. Quand notre premier album (First Offence, 1978) est sorti, le public français avait déjà entendu parler de nous, ça nous a beaucoup aidés. Le public français aime le rock’n’roll au sens traditionnel. Cette fois-là au Gibus, à part nous, Willy Deville, Johnny Thunders et les Small Faces étaient programmés la même semaine. C'est incroyable, non ?

Ton premier album solo (Double Agent, 1984) comportait beaucoup de ballades…
Ça se passait en 1983. Je me remettais tout juste d'une dépression nerveuse particulièrement sévère. J'avais été hospitalisé et les autres continuaient sans moi. En sortant de là, j'ai recommencé à jouer avec des amis. Un promoteur a proposé de m'organiser une tournée en France, un plan sur deux ou trois semaines. Le type me demande d'enregistrer un single, ce que je fais... et puis il disparaît ! Il disparaît purement et simplement… Je me retrouve donc avec un single qui m'a coûté 1 500 livres. 1 500 livres, on peut pas dire que ce soit une grosse somme. N’empêche, je commence à paniquer, je m’interroge, qu’est-ce que je vais faire maintenant ? Je contacte Jiri, est-ce qu’une maison de disques pourrait le sortir, ce single ? Jiri me répond que c’est pas facile de sortir un single en France, à moins d'être français. Si on te trouve 900 livres, serais-tu capable de nous pondre un album ? Je cherche un studio où on me laissera jouer toute la nuit, entre minuit et six heures du matin. J’en dégote un… et c'est comme ça que l'album a pu être enregistré et qu'il a pu sortir en France. Parce qu’au départ, non, j’étais pas censé graver un album. À l’époque j’étais accaparé par un autre projet, un autre single (qu'on a enregistré par la suite avec Elvis Costello). Je chantais pour le Big Heat, un groupe sérieux qui s’était constitué un répertoire de titres originaux. En fin de compte, on avait les yeux plus gros que le ventre, le Big Heat était devenu trop lourd : il a compté jusqu’à douze membres. Complètement dingue !

Ton deuxième solo aligne, lui aussi, pas mal de ballades…
Angel To Memphis (1995) est un autre album de reprises. Elvis Presley, cette fois. C’est le genre de truc que je veux faire depuis que je suis gamin. Jiri s’est proposé une fois de plus de m'aider. Je ne me souviens pas qu’avec les Inmates on ait jamais repris une chanson de Presley. Si, un soir on en a peut-être jouée une à Amsterdam...

Où en es-tu de ta carrière solo ?
En ce moment j'enregistre un album avec des amis, notamment le guitariste de Georgia Satellites, un groupe d'Atlanta. On travaille dans un studio, au nord de Londres. Rien que des morceaux originaux, très rhythm’n’blues, très rock’n’roll, peut-être un peu de country. Sinon, j’espère sortir un live avec les Inmates, du matériel enregistré il y a quelques années. On a un gros boulot de remixage devant nous, quoi. J’ignore quand il est censé sortir, ce live. J'aimerais que ça se fasse début 2005, chez Riverside. Nos trois derniers albums sont sortis sous ce label.

Tu as vu Red White And Blue, le documentaire sur le british blues boom ?
Non, j’ai pas vu le film. Pete (Peter Gunn Staines, guitariste des Inmates) était invité à la première à Londres, tous les réalisateurs de la série étaient là et moi, j'ai raté ça. J'avais quinze ans au moment du british blues boom, j'ai vu pas mal de groupes dans les sixties… à l'époque où j'étais un mod. (Rires.) J’ai vu John Mayall et les Bluesbreakers, il y avait encore Mick Taylor dans le groupe. J'ai vu le Spencer Davis Group. Fleetwood Mac. Les Chicken Shack. Ils surfaient tous sur le sommet de la vague à cette époque. Tiens, j'ai vu aussi Rory Ghallager à ses débuts, et j'ai joué avec lui à Mont-de-Marsan plus tard.

Quelque chose à dire sur le téléchargement illégal ?
J'ai pas d'ordinateur ! Résultat : j'ai encore jamais eu à faire ça mais ce genre de pillage, ces copies de musique, ça existe depuis des années. On a toujours trouvé des disques pirates sur le marché parallèle, non ? Le téléchargement illégal, finalement, ça n’est pas très nouveau.

Quel est ton album préféré ?
Truth de Jeff Beck. Rod Stewart au chant, Ron Wood à la basse, Nicky Hopkins au piano. Ouais, c'est Truth. Et Jeff Beck est mon guitariste préféré. Truth a opéré une vraie fusion entre le blues et le rock, il a influencé Led zeppelin… Beck le ressort en CD. Si t'arrives pas à mettre la main dessus, essaie Beck Ola pour compenser.

Ta chanson préférée…
Jailhouse Rock !

Ton groupe préféré…
Les Rolling Stones, bien sûr !

Inmates express

1979, Londres. Le pub-rock a fini de punker, il est devenu franchement épileptique, il new-wave, il n’a pas encore craché l’amphète. Les Jam ont pris le parti de la reine contre les Pistols, ils remettent en circulation les vieux scooters à parkas. Dans cette pétaudière, les Inmates découpent une pleine lune de soul dans un mur de basses. Les paroxysmes d’Otis Redding battus par le pouls du rock'n'roll, une fanfreluche psyché cueillie dans un garage des sixties, ils lancent leur premier album First Offense. Deuxième et dernier bonus commercial en 1980 : Shot In The Dark, ensuite la zone. Pas assez funs, pas assez morbides, les Inmates ne sont plus solubles. Ska, néo-romantisme (ha ! ha !), rockabe, cold wave, le monde tourne à l’envers. Vic Maile, leur producteur et madone des pubs, les perd de vue un moment. Autre producteur, autre label, ils frappent un album (un peu) raté. Maintenant ça coince sérieux. Hurley déprime, perd son groupe, perd sa voix. Barrie Masters, la glotte des Hot Rods, timbre deux (très bons) albums en attendant le retour du titulaire. Hurley croone en solo avec le Johnny Guitar des Bishops (Double Agent) en attendant que Masters lui rende son groupe. 1987, le retour. Bill Hurley inmate again, le groupe foudroie le répertoire des Beatles à La Villette, Vic Maile coffre la boule de feu dans une cire. Les cinq punchers ne seront peut-être jamais milliardaires, vingt-cinq ans qu’ils passent comme le hasard et qu’ils s’évaporent mais, de leurs poings massifs et imparables, ils sculptent une œuvre exemplaire, plus scénique que discographique d’ailleurs. Onze albums tranchés sur l’os, presque tous dignes du chevet, plus deux solos griffés Hurley. En 1997, les Inmates signent l’un des vingt meilleurs disques de l’histoire du rock'n'roll, Silvério. (Vingt, je les ai tous comptés !)

Discographie sélective

1979 : First Offense (Radar)
1980 : Shot In The Dark (Radar)
1984 : True Live Stories – avec Barrie Masters (EVA)
1984 : Double Agent – Bill Hurley solo (Demon)
1987 : Meet The Beatles (MFS)
1997 : Silvério (Last Call)


Benoit Chanal et Christian Casoni - Cognac juillet 2004. Blues Again numéro 2 été 2005

NDLR : Blues Again n'existe malheureusement plus en support papier, vous pouvez retrouver sa nouvelle formule internet ici :

Un grand merci également à l'auteur de la première photo dont malheureusement je n'ai pas le nom.



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